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AU FOND D'UN OEIL

 

Il suffit que je pense à cet instant pour que la pluie perle à l’orée de mon œil, œil unique, œil aveugle : le départ d’Irma, elle m’a quitté sans m’embrasser, sans me dire à bientôt. Enterré, ni fleurs ni couronne. J’ai alors cessé de dormir et, si par miracle je sombrais, très vite je sursautais secoué par l’insupportable crissement de mes dents. Oui, je bruxe, un collègue a évoqué une colère rentrée. Moi en colère ? Je n’y avais pas cru. Mais un jour n’en pouvant plus j’ai décidé de la sortir cette colère, de la cracher, qu’elle envahisse l’horizon, qu’elle monte jusqu’au ciel, j’espérais qu’Irma elle-même en fût atteinte, bousculée, je l’imaginais  grimaçante, se bouchant les oreilles, et je souriais déjà entre mes larmes en affutant mes armes.

Du geste inaugural, une puissante inspiration, le résultat fut immédiat : autour de moi un vide brutal déstabilisa mes contours, bientôt déchirés, ils s’échevelèrent. Pourquoi ce mot ? Aucune idée, je n’étais pas en mesure de me contempler, cependant je ressentais et c’était une caresse, je frissonnais et c’était de plaisir. Des lèvres gourmandes me bécotaient, me suçaient de toutes parts, je crus un instant Irma de retour, reconnaissais ses baisers passionnés ponctués de ronronnements satisfaits, un frisson me parcourut tout entier, morsure de la jouissance, joie électrique. Mais crescendo les ronronnements se firent grognements, éjaculèrent en rugissements, plus de caresses, des coups de fouets, en moi plaisir et souffrance se disputèrent la place. Je n’étais plus maître de rien, hurlais, me révoltais, renonçais. La voix soudain explosa en une meute, mille voix qui à leur tour enflèrent, friture de l’excitation, étaient-elles, étaient-ils, je ne savais plus, en train de se défier les uns les autres pour l’accomplissement du pire ?

Le pire appelle le meilleur. Cette menace d’apogée orgiaque cristallisa en moi sous forme d’une réaction écarlate. Une décision, à tout prix me protéger. Que ce soit d’Irma ou d’assaillants inconnus. Sans armes ni bouclier. La grande fleur rouge commença à pâlir. Ni refuge fortifié. « Refuge fortifié » le choc de ces deux mots fit éclater la fleur comme une lumière dorée: j’étais mon propre refuge, le lieu intime de la lutte, la source de l’énergie. Pour affamer ces assaillants de la périphérie je devais rappeler en mon fort-intérieur ma puissance ma chaleur. Là était le salut. Mon cœur gronda. Il était grand temps, les hurlements de la horde en folie avaient labouré mes ressources vitales, détruit le sanctuaire de la méditation, soufflé les torches de la concentration, et l’effort d’abstraction pour les restaurer fut fébrile, surtout pas, clownesque peut-être ? Non, barbaresque ? Non plus, malgré ma volonté féroce de le qualifier le mot « effort » restera à jamais nu, pour moi, pour vous. Peu importe, puisqu’en parvenant à concentrer toute mon énergie en un point neutre le plus éloigné possible de mes contours  j’allais sauver ma peau, retrouver ces heures de rêve au bord du sommeil. Dans ce combat je jetai toutes mes anti- forces et en- deçà  et au-delà.

En moi la lumière blanchit encore. Tout autour des bulles de silence jaillissaient qui capturaient les cris et  piégeaient le tumulte mais l’infernal charivari se renouvelait dans l’ivresse de ces fouets ignorants du pouvoir de leur maître. Pour enfin inverser le flux il me fallut plonger dans l’enfer de ma force jusqu’à très noir, y générer une aspiration centripète qui inverserait le flux, de tous mes micro- cils je palmai comme un fou. Peu à peu je perçus l’amorce d’un reflux, j’aurais aimé nourrir mon courage de la vision de ces lèvres, de ces fouets vidés peu à peu de leur hargne. Cela m’étant refusé je me contentais d’enregistrer la fréquence décroissante des impacts, leur violence à la peine, j’écoutais les rugissements dériver vers la complainte, le gémissement quand je fus terrassé par une lourde fatigue puis enseveli sous  la neige du silence. Soudain la transportation. Etrange impression que celle de franchir une frontière sans bornes, d’émotion je crus perdre à nouveau le contrôle de mes contours, émotion encore présente au moment où je vous parle : des formes des couleurs franchissaient mes contours. Je songeai : « Voilà que j’ai vu, je peux donc mourir en paix. »

Non ! A présent que je vois, je pars retrouver Irma.

LE BOUT DU MONDE

 

Elle se réveille entre des murs et il fait sombre, presque nuit, deux colonnes de lumière grise à l’aplomb de meurtrières horizontales semblables à celles des bunkers. Murs trop hauts pour un bunker ! Elle veut se redresser, sous ses mains, sent un mince matelas, ses poignets ses bras sont douloureux. Que s’est-il passé ?  A-t-on voulu la frapper ? Si oui, instinctivement de ses bras elle a tenté de se protéger? Ils doivent porter des traces, rouges, bleues, noires, ses bras.

Elle veut savoir et avec précaution les élève vers l’une des deux meurtrières. Bien que précautionneux ce mouvement lui arrache un cri et à nouveau des interrogations, pourquoi, quelles conséquences ? Contusions sévères ou fractures ? Ou les deux. La deuxième tentative est encore plus pénible, alors savoir que ses bras portent des traces de coup de telle ou telle forme ? Des hématomes bleus ou violets ? Ses yeux irrésistiblement cherchent les ouvertures, pourquoi si haut placées ? Lasse de toutes ces questions elle ferme les paupières, se sent glisser au plus profond d’un terrier pendant qu’imperceptiblement les points douloureux s’éloignent, comme lévitant à quelques millimètres au-dessus de sa peau.

Trois, quatre millimètres ? Cet espace  suffit pour attirer des réminiscences, d’abord un bruit de verre cassé, un flot d’air froid. Masquant le halo orangé d’un réverbère une ombre s’apprêtant à bondir. Sur elle. Un cri, sa propre voix déformée par le désir désespéré de vivre, plutôt un hurlement car sa gorge brûle encore un peu, écorchée. Les deux colonnes de lumière sont moins ternes, le temps passe, unique signe de vie. Elle se demande, car poser des questions c’est vivre: tout à l’heure elle a cru se réveiller, mais n’a-t-elle pas plutôt repris connaissance ? Lors d’un réveil les rêves souvent s’évanouissent. Quand on revient à soi toujours les douleurs se réveillent.

A moins que les douleurs ne l’aient réveillée. Ou un bruit ? Lasse, très lasse, elle sent qu’elle va lâcher,  s’oblige à écouter. Rien. Rien à quoi se raccrocher, aucun repère visuel, même pas la trace d’une odeur, l’écho d’une voix. Des murs anonymes enduits de ciment gris.  Elle est à bout, les larmes menacent, l’ignorance, l’incertitude, l’enferme dans une obscurité pire que celles des murailles qui l’entourent. Alors elle fixe les meurtrières comme si elle en attendait plus qu’une lumière : une réponse, une explication, une preuve. Elle n’y voit qu’un regard  absent. Elle est à bout, s’enferme.

A bout, ces deux mots sonnant comme la menace d’une fin la secoue toute entière, « - Es-tu vraiment à bout ? » Sa voix est éraillée. « - Peut-être que je confonds être à bout et toucher le fond. – Il te faut choisir, tu es à bout ? C’est la fin de l’histoire. Tu touches le fond ? Tout change, d’un coup de talon tu peux remonter. » Au  mot « remonter » elle rouvre les yeux, cherche les minces rectangles de lumière, les meurtrières, qui peut-être voient des toits, ou donnent sur une rivière et l’horizon. A cet instant et là où elle est, elles incarnent le plus attrayant, le plus impossible de tous les bouts du monde  imaginables.

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